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Par mossad55 le 4 Décembre 2006 à 16:33Lidentité juive est-elle un des facteurs de lantisémitisme ?Un texte dAvraham B. Yehoshua relance le débat sur les causes de la haine des Juifspar Michel Abitbol
Michel Abitbol est professeur à lUniversité hébraïque de Jérusalem. Dernier ouvrage paru : Les amnésiques. Juifs et Arabes à lombre du conflit du Proche-Orient (Éd. Perrin).
Lantisémitisme. Encore et toujours. Pourquoi ? Il a fallu beaucoup de courage à Avraham B. Yehoshua pour tenter dexpliquer ce phénomène en pointant du doigt les Juifs, leur personnalité et leur identité, et non pas, comme on a généralement lhabitude de le faire, en analysant le comportement des antisémites et leurs mobiles religieux, économiques et politiques. Véritable pavé dans la mare des spécialistes, létude de Yehoshua intitulée « Essai de définition et dexplication structurelle de lantisémitisme » (1) a été publiée cet été par la revue de Tel-Aviv Alpayim qui, consciente des remous que le texte du grand écrivain nallait pas manquer de susciter, a pris soin de laccompagner dun riche échantillon de commentaires émanant déminents historiens israéliens de lantisémitisme.
Tout en rendant hommage à la clarté desprit de lauteur de LAmant et de Monsieur Mani, et à son effort de démontrer lexistence dun soubassement structurel unique commun à lensemble des manifestations de lantisémitisme, la plupart des historiens nacceptent pas la thèse de Yehoshua qui fait porter, dune certaine façon, aux Juifs eux-mêmes la responsabilité de la peur et des fantasmes quils suscitent autour deux.
Reposant sur une double dimension, religieuse et nationale, aux composantes le plus souvent imaginaires, lidentité juive selon Yehoshua a ceci de particulier quelle apparaît aux yeux des non-Juifs comme un phénomène amorphe et fantasque. Cela a pour effet de les déstabiliser et, pour peu que leur propre vision du monde soit trouble, le contact avec cette identité juive insaisissable peut les conduire jusquà des actes de démence. Le Juif, écrit Yehoshua, dans une belle envolée lyrique, se dresse comme « un texte troué de blancs qui appelle des lectures multiples et diverses au gré des besoins psychiques du lecteur ».
Sans doute la faiblesse méthodologique la plus frappante de la thèse de Yehoshua a-t-elle trait à sa vision a-historique du phénomène antisémite où il tend à englober toutes les formes de haine antijuive à travers lhistoire, depuis lAntiquité jusquà nos jours, incluant pêle-mêle la Perse dAssuérus et dAman selon le Livre dEsther, les persécutions de lÉglise, les massacres almohades, lexpulsion dEspagne, les pogroms de Russie et de Pologne, lahoah, lantisionisme musulman, et jusquà la très récente déclaration scandaleuse du compositeur grec Mikis Theodorakis pour qui tout le mal dans le monde vient des Juifs. Or, jusquà lépoque moderne, lui rétorquent justement Yehuda Bauer, Israël Yuval, Shulamit Volkov et dautres, cest bien le Juif en chair et en os, ennemi de la Croix et du Croissant, et non le Juif à lidentité « imaginaire » ou « virtuelle », qui est la cible de ses adversaires chrétiens et musulmans.
Un Juif bien réel donc, et néanmoins démoniaque, non pas à cause du double ancrage religieux et national de son identité (qui, après tout, ne le distinguait guère du Polonais et du Croate catholiques, ou du Serbe, du Russe et du Grec orthodoxes) mais parce que, pendant lAntiquité, il est différent, par son monothéisme, des peuples « païens » qui lentourent ; puis, depuis la généralisation du monothéisme dans le monde à la suite de lavènement du christianisme et de lislam, parce quil est tenu pour déicide et condamné à errer dun pays à lautre, porteur de la malédiction divine.
Cest seulement avec lirruption du sentiment national en Europe, et avec la sécularisation de la société, à partir du XVIIIe siècle, rappellent Israël Bartal et Robert Wistrich, que les Juifs sont appelés à affronter lantisémitisme dont parle Yehoshua. Une judéophobie dun type nouveau - malgré quelques ressemblances de façade avec les formes anciennes de haine antijuive - dont la gravité et les conséquences tragiques ne devrait pas faire oublier, souligne Shulamit Volkov, que lidentité juive « incriminée » par lécrivain na guère empêché les Juifs de connaître, en Europe et en Amérique, deux siècles dun extraordinaire épanouissement économique, politique, social, intellectuel et artistique.
Cela dit, et tout le monde en convient, ce nest pas à une révision de lhistoire juive ni à un ré-examen de nos connaissances sur lantisémitisme que Yehoshua convie ses lecteurs. Son objectif est plus restreint et plus ambitieux à la fois. À savoir : dévoiler la « racine profonde », le code ADN de lantisémitisme, afin de fabriquer la « clef » adéquate permettant den freiner les débordements, ceux notamment en rapport avec lantisionisme daujourdhui. Une approche « essentialiste », dont le bien-fondé est contesté par Peter Schaeffer pour qui, depuis lÉgypte ancienne jusquà lAllemagne contemporaine, la diabolisation du Juif na guère eu besoin de la médiation de lidentité juive pour se déclencher.
Lantisémitisme est laffaire des non-Juifs et non des Juifs, soutient pour sa part Dina Porat, qui rappelle à ce sujet le mot célèbre et néanmoins très réducteur de Jean-Paul Sartre dans ses Réflexions sur la question juive : « Un Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif ». En dautres termes : cest le Juif « inventé » et imaginé par les non-Juifs qui est la cause de lantisémitisme, et non pas lidentité juive imaginée par les Juifs.
Assurément, A.B. Yehoshua ne jette pas le voile sur la responsabilité des non-Juifs ; mais il nen considère pas moins que, pour mettre fin à lantisémitisme, les Juifs se doivent de prendre les devants et réformer leur identité en réduisant les éléments « imaginaires » et « virtuels » qui la composent, et surtout en en dissociant laspect national de laspect religieux. Tel est le sens, après tout, de la révolution sioniste, rappelle lauteur du Voyage vers lan mil qui, excellent romancier, imagine, à la fin de son essai, une « réunion au sommet » des Sages dIsraël, depuis Abraham et Moïse jusquaux grands maîtres de la Haskala, en passant par les rabbins de la Mishna et du Talmud, Saadia Gaon, Maïmonide, Nahmanide, Sabbataï Zevi, Rabbi Nahman de Bratslav etc., auxquels on montrerait un documentaire sur la Shoah. La projection terminée, toutes les personnes présentes seraient priées de répondre à une seule question : auriez-vous agi différemment pour éviter cette terrible catastrophe que lon vient de vous révéler ? La plupart dentre elles, pense Yehoshua, auraient déploré de navoir pas mis suffisamment laccent, durant leur vie, sur lindispensable regroupement des Juifs en Terre sainte et sur les menaces quimplique leur dispersion à travers le monde...
Sioniste « néo-cananéen », comme le qualifie Shlomo Avinéri, aspirant à un État dIsraël « normalisé » et passablement coupé de ses racines diasporiques, A. B. Yehoshua ne cache pas sa peine devant les retombées mystiques et religieuses de la guerre des Six Jours (juin 1967) qui ont altéré lidentité israélienne telle quelle avait été voulue par les pères du sionisme : « Voilà, déplore-t-il, que nous retombons dans cet ancien modèle qui génère et aggrave le caractère virtuel et indéterminé (de lidentité juive) et vers lequel tendent également, pour notre plus grand malheur, quelques-uns de nos voisins tout aussi perturbés. »
Nourri des mêmes fantasmes générés par la double structure de lidentité juive, lantisionisme musulman daujourdhui, comme lantisémitisme chrétien dhier, risque de déboucher sur une nouvelle catastrophe de même envergure que la Shoah. Dautant que, écrit-il, avec la dissémination des armes de destruction massive, « la possibilité danéantissement devient de plus en plus simple et accessible à tous ».
Une conclusion un peu trop hâtive, nous semble-t-il. Traversant à grandes enjambées lhistoire contemporaine, Yehoshua donne limpression dêtre prisonnier de son propre modèle dexplication, qui le conduit à une vision répétitive et, somme toute, « catastrophaliste » de lhistoire. Or, pour le meilleur comme pour le pire, le monde ne reviendra pas à ce quil a été avant la seconde guerre mondiale - et, liant son sort de bon ou de mauvais gré à un État dIsraël regroupant désormais une grande partie du peuple juif, la diaspora ne redeviendra jamais ce quelle a été jusquà la Shoah.
Les Juifs ont disparu de bien des pays où ils étaient encore fort nombreux jusquau lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais cela na pas empêché ces pays, comme la Pologne durant les années Gomulka, de verser dans un antisémitisme viscéral qui - cest le moins que lon puisse dire - na point été tributaire des débats dun autre temps sur lambiguïté imaginaire de lidentité juive. Que dire aussi, à ce propos, de certains pays arabes qui nont jamais connu de Juifs depuis la mort du Prophète, comme lArabie saoudite dOussama Ben Laden, ou encore des États du Proche-Orient où toute présence juive a pratiquement cessé depuis la fin des années 1960 ? Y était-il indispensable de côtoyer des Juifs (auxquels, soit dit en passant, lislam na jamais conféré dautre identité que religieuse) pour sadonner à un antisémitisme effréné qui, de nos jours, na même plus besoin de se cacher derrière les habits usés de lantisionisme ?
1. Le texte est paru, presque simultanément, dans un recueil de trois textes dAvraham B. Yehoshua intitulé Israël : un examen oral (traduit par Denis Charbit, aux éditions Calmann-Lévy).
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