• A l'occasion de la journée nationale de commémoration de la Shoah dans les établissements scolaires, Jean-Pierre Winter, psychanalyste et auteur d'un chapitre sur le souvenir et la mémoire (Les errants de la chair, éd. Payot, 2001) fait part de ses convictions pédagogiques quant à la transmission de cette période de notre histoire.

    Enseigner la Shoah : qu'en pense le psychanalyste ?

    La parole, les mots comme seul et unique moyen d'expliquer la Shoah ?

    Jean-Pierre Winter : Effectivement et à condition que la pensée soit bien encadrée : dates, cartes, chiffres, faits précis à l'appui. En somme, rien ne vaut une leçon d'histoire pour transmettre l'holocauste. J'ai tendance à penser, comme Claude Lanzmann, qu'aborder ce sujet nécessite une grande précision. De la rigueur. Sinon, c'est la porte ouverte à tous les dérapages, au négationnisme en particulier.

    Cette leçon d'histoire spécifique nécessite-t-elle d'être adaptée à chaque niveau scolaire ?

    J.-P. W. : Jusqu'à 8 ans, les enfants sont très réceptifs. C'est une tranche d'âge féconde pour aborder le sujet. Evidemment, il est nécessaire de savoir où ils en sont dans leur connaissance de l'histoire. Pas question de les abreuver de savoir ou de les perturber avec un sujet qu'ils ignorent. La meilleure méthode pédagogique consiste à partir d'eux, des questions qu'ils se posent.

    Quant aux collégiens et lycéens, ils ont tendance à être pris de plus en plus tôt dans une politisation liée à l'actualité au Proche-Orient. A confondre juifs et Israël. Et du coup, à perdre de vue l'idée de crime contre l'humanité perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, cette notion transcende les conflits et les différences : elle touche à l'universel, à notre essence commune. Il me semble que transmettre la Shoah à ces jeunes, c'est commencer par leur parler de crime contre l'humanité. C'est ce que j'envisage de faire lors mon intervention auprès de lycéens, le 27 janvier 2003.

    En tant que psychanalyste, considérez-vous que l'image soit un bon outil d'enseignement de la Shoah ?

    J.-P. W. : L'image ne peut être un outil pédagogique pertinent. D'un point de vue purement psychanalytique, elle est à considérer comme le produit de la censure. Le rêve, par exemple, constitué de pensées inconscientes qui apparaissent en images, ne peut être compris sans être décrypté. La traduction verbale s'impose comme une étape essentielle, surtout lorsqu'il s'agit de représentations aussi terrifiantes que celles de l'holocauste : des corps nus, décharnés et entassés...

    Quels "messages codés" pourraient passer lorsqu'un enseignant décide, par exemple, de montrer Nuit et Brouillard d'Alain Resnais à sa classe ? De quelles interprétations inconscientes voulez-vous parler ?

    J.-P. W. : A leur insu, les images de la Shoah provoquent de la jouissance. Le désir conscient de s'informer sur cette page de l'histoire se transforme inconsciemment en sadisme ou en masochisme, le spectateur se plaçant soit du point de vue de celui qui fait le mal, soit de celui qui souffre.

    Ce phénomène a un impact encore plus pernicieux chez les adolescents qui sont en train de fabriquer leur libido. A cet âge où le jeune se demande si les fantasmes peuvent être assouvis, la projection de Nuit et Brouillard est à éviter... Mieux vaut faire confiance aux images suscitées par la parole.

    Propos recueillis par Sandrine Nourrissat.

     

    Source: http://education.france5.fr/shoah/question-winter.htm





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