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    Depuis l’automne 2002, l’antiaméricanisme à la française s’est de plus en plus clairement teinté de judéophobie, à travers une intensification du discours « antisioniste » convenu, certes, mais aussi par la diffusion croissante d’une représentation antijuive bien connue des historiens des années 1930, celle de la « guerre juive ».

    On sait que l’un des premiers usages idéologico-politiques des Protocoles des Sages de Sion, entre 1918 et le début des années 1930, a été de justifier la désignation des Juifs comme responsables de la guerre de 14-18. Dans la seconde moitié des années 1930, le recours au mythe du complot juif mondial, véhiculé par les Protocoles, a permis de dénoncer l’éventuelle guerre des démocraties contre le régime nazi commeune « guerre juive ».

     

     

     

     

     

    © Pierre-André Taguieff/L'Arche - Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only.

    Philosophe et historien des idées, Pierre-André Taguieff est directeur de recherche au CNRS (derniers ouvrages publiés, en 2002: La Nouvelle judéophobie, Paris, Mille et une nuits; L’Illusion populiste, Paris, Berg International). Cet article, est extrait d’un livre qui paraîtra en septembre aux Éditions Fayard/Mille et une nuits.


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    Fondé en 1951 et n’employant jusque dans les années 70 qu’une petite poignée de collaborateurs, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) compte à présent, selon ses propres indications, 85.000 membres et 165 employés à plein temps, et dispose d’un budget annuel de 33,4 millions de dollars. Outre le siège central, qui se trouve à Washington à proximité directe du Congrès, l’AIPAC a des bureaux dans une dizaine d’états des USA ainsi qu’en Israël.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

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    Très influent dans les milieux fortunés

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    L’AIPAC s’appuie sur un réseau de plus de 70 organisations dont la plupart sont représentées au sein de son comité directeur de 50 membres. De cette façon, seul l’AIPAC proprement dit est tenu de se faire enregistrer en tant que groupe de pression ; les organisations affiliées ne sont pas soumises à cette obligation. Parallèlement, la composition très variée du comité directeur - où  siègent des représentants des deux grands partis, des syndicats et des organisations patronales - permet au lobby pro-israélien de fonder sa politique sur un vaste consensus.<o:p></o:p>


    La plupart des membres du comité directeur de l’AIPAC sont aisés et font partie de la « bonne société » américaine. La chose est importante, car ils doivent intervenir en public à tous les niveaux, à la fois en tant que « donateurs » et comme « collecteurs de fonds», dans le cadre des campagnes électorales de politiciens notoirement pro-israéliens. Ce que les Américains appellent fundraising, c’est-à-dire non seulement la collecte d’argent mais aussi l’art de susciter des dons, est plus important encore que le don lui-même. Bien entendu, il ne s’agit pas d’aller faire la quête au porte-à-porte mais, par exemple, de recueillir des sommes importantes dans des soirées spécialement organisées à cet effet. Un bon fundraiser n’est pas seulement efficace au niveau financier grâce à son rôle multiplicateur ; il doit aussi prouver qu’il dispose d’excellentes relations et qu’il est capable de les faire jouer en temps opportun.  <o:p></o:p>

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    La qualité du fundraising constitue donc un baromètre de l’influence de l’AIPAC dans le monde des riches et des puissants. En moyenne, chaque membre du comité directeur a personnellement versé quelque 72.000 dollars au cours des quatre dernières années à l’occasion de campagnes électorales, cette somme étant répartie de manière à peu près égale entre des candidats dignes de confiance des deux grands partis. Un membre du comité directeur sur cinq a la réputation de faire partie des top fundraisers de l’un des deux candidats à la présidence.<o:p></o:p>

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    Là aussi, on s’attache à tourner la loi américaine. L’AIPAC lui-même, en tant que lobby officiel, n’a pas le droit de verser de dons à des hommes politiques, ce qui serait considéré comme une forme de corruption. En revanche, chaque membre du comité directeur a le loisir de le faire à titre personnel. Un autre moyen de tourner l’interdiction consiste à fonder des comités d’action politique (PAC), qui ne sont en fait rien d’autre que des succursales à peine camouflées de l’AIPAC mais peuvent cependant agir en toute légalité comme donateurs ou collecteurs de fonds. Il existe aux Etats-Unis des douzaines de PAC locaux. <o:p></o:p>


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    L’AIPAC est infiniment plus influent que n’importe quel autre lobby agissant pour le compte d’un Etat étranger. Comme le signalent les responsables de l’organisation, plus de 2000 entretiens ont lieu chaque année avec les membres du Congrès. Il s’agit, bien sûr, d’entrevues personnelles et non de simples contacts téléphoniques, lequels sont encore plus nombreux.  Sachant qu’il y a 100 sénateurs et 435 représentants - Sénat et Chambre des représentants constituent le Congrès - chaque parlementaire américain rencontre donc en moyenne quatre fois par an des délégués du lobby pro-israélien.<o:p></o:p>

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    Voyages en Israël pour les parlementaires nouvellement élus

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    L’AIPAC offre à chaque parlementaire nouvellement élu au Congrès un voyage d’une semaine en Israël, en guise de petit cadeau marquant le début d’une fructueuse coopération. Les « nouveaux » font d’ailleurs l’objet d’une attention toute particulière de la part de l’AIPAC et ce, dès l’instant où ils présentent leur candidature à la Chambre ou au Sénat. Dans la mesure du possible, chacun d’eux sera convié à une entrevue qui permettra de constater « ce qu’il a dans le ventre »  et de se faire une idée de sa position vis-à-vis d’Israël. Mais il ne s’agit là que d’une mesure accessoire, car l’AIPAC dispose de dossiers détaillés sur tous les politiciens.<o:p></o:p>

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    Un des outils essentiels utilisés par le lobby pro-israélien pour influencer le comportement des élus ou faire pression sur eux, consiste à établir des voting records, c’est-à-dire des rapports qui reprennent et analysent minitieusement l’attitude politique de chaque membre du Congrès dans tous les scrutins ayant trait à Israël ou au Moyen-Orient. Une moyenne de vote de 95 % en faveur d’Israël est considérée comme normale. Un pourcentage inférieur à 90 %  signale de la part du sénateur ou du représentant en question une attitude hostile envers Israël.  Un élu ambitieux devra donc, dès le début de sa carrière au Congrès, se demander s’il est opportun de gâcher inutilement son bilan. <o:p></o:p>

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    Il faut savoir, en effet, qu’un vote défavorable à Israël n’est jamais honoré par les électeurs ; il peut, en revanche, causer bien des ennuis, parfois même avec plusieurs années de retard. On a vu des cas où l’AIPAC, pour punir de façon exemplaire et dissuasive un élu ayant critiqué Israël, a financé et soutenu massivement - et avec succès - un concurrent plus docile. <o:p></o:p>


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    L’AIPAC se flatte de faire passer chaque année au Congrès plus d’une centaine de projets de lois favorables à Israël. Beaucoup de ces textes n’ont pas d’effet pratique direct, contrairement par exemple à la loi annuelle sur l’aide financière et militaire ; ce sont en fait des actes de pure propagande. Le recours à cette procédure est particulièrement courant les années d’élection présidentielle. Le président du groupe parlementaire républicain à la Chambre des représentants, Tom DeLay, a la réputation de raffoler de ces votes dont le seul but est de tester la loyauté des intéressés. Les motions de soutien à la politique de Sharon sont formulées de façon si outrancière que  certains députés de l’aile gauche du parti démocrate refusent parfois de les voter ou sont dans l’impossibilité matérielle de le faire à moins de trahir certains principes proclamés publiquement. Le but de la manoeuvre est de faire planer le doute sur la solidarité du parti démocrate vis-à-vis d’Israël et de présenter les Républicains comme les alliés les plus sûrs de l'Etat hébreu.

     

    Source:

    Extraits d’un article de Knut Mellenthin, paru dans le quotidien allemand junge Welt du 16.09.2004